Du fait des guerres à répétition et des répressions qu’elles engendrent, l’État d’Israël souffre généralement d’une mauvaise image auprès de l’opinion publique mondiale. En seulement quelques décennies, Israël est passée du statut de gentil David bataillant contre des ennemis innombrables à celui de méchant Goliath voulant écraser et dominer ses voisins.
Une image médiocre
Selon un sondage de la BBC datant de 2013, Israël est classée parmi les nations les plus mal vues du monde, devançant seulement la Corée du Nord, le Pakistan et l’Iran. Et à part quelques initiatives individuelles, aucune politique sérieuse n’avait été entreprise par les gouvernements successifs pour changer cet état de fait, Israël était en situation d’échec dans sa politique d’influence de l’opinion (soft power) « pour gagner les cœurs et les esprits dans le monde.[1] »
Le tournant de Plomb durci
Les choses ont commencé à changer lors de l’opération militaire « Plomb durci » lancée par l’armée israélienne le 27 décembre 2008[2] à Gaza.
Selon Yigal Palmor, porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, « la vitesse est la priorité absolue » dans ce genre de campagne médiatique, « le but est d’amener votre message le plus rapidement possible à un public aussi large que possible. » Ainsi, les diplomates du ministère des Affaires étrangères ont expliqué aux journalistes du monde entier pourquoi le gouvernement israélien avait lancé l’opération visant à freiner les tirs de roquettes du Hamas en Israël. Tout aussi rapidement, l’armée israélienne a intensifié ses efforts de relations publiques en fournissant des informations précises et des vidéos aux médias. Le 28 décembre 2008, la ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni, a expliqué durant l’émission Meet the Press de la chaîne américaine NBC les raisons de cet engagement militaire. Outre les médias traditionnels, les réseaux sociaux ont été ciblés par cette campagne de « soft power » menée par l’armée israélienne. Elle a notamment lancé une chaîne vidéo sur YouTube diffusant des images de dépôts d’armes du Hamas à Gaza, d’écoles piégées, d’équipes de roquettes tirant sur des zones civiles palestiniennes et d’équipes médicales israéliennes soignant des blessés palestiniens.
Brand Israël
Et cette campagne relationnelle auprès de l’opinion publique mondiale ne s’arrête pas là, l’armée israélienne ne se contente plus de communiquer en temps de guerre mais occupe le terrain médiatique en permanence, notamment sur les réseaux sociaux. L’idée est de cibler les jeunes générations et les minorités ethniques ou sexuelles afin de changer l’image (stratégie marketing de re-branding) de l’Etat d’Israël souvent perçu comme un Etat belliqueux et religieux, et ce, en l’associant à des choses positives. Ainsi avec l’aide de directeurs marketing américains, le gouvernement israélien a lancé en 2005 une vaste campagne, « Brand Israel », en direction principalement des hommes entre 18 et 34 ans[3]. En 2007 le consulat israélien à New York a permis au magazine américain pour hommes, Maxim, de pouvoir photographier des femmes militaires israéliennes très légèrement vêtues. Dans le même genre, la top model israélienne Bar Refaeli a fait plusieurs fois la une du magazine américain Sports Illustrated, « au lieu de l’image d’un soldat israélien armé tirant des grenades lacrymogènes sur des adolescents palestiniens[4] », l’État d’Israël était perçu dans le monde sous l’angle d’une naïade en bikini.
Les gays ne sont pas oubliés
Autre cible du soft power israélien, la communauté homosexuelle internationale qui fait l’objet depuis plusieurs années d’une tentative de séduction de grande ampleur (technique du pinkwashing[5]) de la part de la diplomatie de l’Etat hébreu[6]. Selon Ramzy Kumsieh, membre de l’association palestinienne Al-Qaws, qui s’engage pour la diversité sexuelle et de genre en Palestine, « les ambassades israéliennes financent par exemple des festivals de films gays et lesbiens, aux Etats-Unis comme en Europe. Tel-Aviv sert de ville-vitrine où la communauté queer [homosexuelle] semble libre de s’éclater. La démarche s’inscrit d’ailleurs dans une stratégie de marketing plus globale qui joue aussi sur la culture (.…) Le gouvernement israélien se donne beaucoup de mal pour faire des droits queers [homosexuels] un enjeu particulier en lien avec la Palestine.[7] » Ainsi « 90 millions de dollars ont été investis par l’office de tourisme de Tel Aviv pour se donner des allures de destination de vacances sur mesure pour les gays du monde entier. Ce type de financement fleurit, souvent à la faveur d’un arsenal culturel, pour donner un visage gay-friendly à Israël. Les ambassades israéliennes financent des festivals de films gays et lesbiens, aux États-Unis comme en Europe. En France, la venue d’une cinéaste israélienne au festival de films féministes et lesbiens Cineffable avait donné lieu à un partenariat entre les organisateurs et organisatrices du festival et l’ambassade d’Israël – l’ambassade finançait en effet la venue de la cinéaste. La campagne pour le Boycott culturel de l’État d’Israël (PACBI) a révélé en 2008 que les contrats qui relient les artistes Israéliens à leur gouvernement, lorsque celui-ci finance leur déplacement, contiennent une clause qui définit le but de la collaboration : « promouvoir les intérêts politiques de l’État d’Israël […] et créer une image positive d’Israël.[8] » En 2016, l’Etat d’Israël a dépensé plus de 2,2 millions d’euros (11 millions de shekels) pour faire la promotion de la plus importante marche des fiertés homosexuelles en Asie, celle de Tel-Aviv, soit 10 fois plus que les subventions annuelles de l‘État aux associations LGBT[9].
Lutter contre le terrorisme
Une autre thématique permet à Israël de changer son image auprès de l’opinion internationale et notamment française, est celle désormais de la lutte contre le terrorisme et la sécurité des populations civiles (« c’est désormais l’État hébreu qui est érigé, par de nombreux élus, comme le modèle à imiter pour mener la guerre contre le terrorisme islamiste[10] »). Depuis les attentats ayant frappé la France en janvier et novembre 2015, le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou[11] multiplie les appels du pied en direction de la classe politique française l’invitant à venir en Israël découvrir le savoir-faire de la police ou de l’armée de l’Etat hébreux. L’ancien ministre de la Défense et actuel président du Conseil régional de Normandie, le centriste Hervé Morin, a demandé en juillet 2016 « l’israélisation de notre sécurité » en France[12]. En mai 2016, une délégation[13] de la Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme visitait Israël afin « d’apprendre » comment luttait l’Etat hébreux contre les terroristes. Selon le président de cette commission, Georges Fenech, magistrat et membre des Républicains : « dans le cas d’Israël, le pays a une plus grande et douloureuse expérience et il est normal que nous soyons venus ici pour voir comment se passent les choses. Il y a un savoir-faire israélien qui ne peut être que profitable et pour observer le niveau de coopération qui existe entre Israël, la France et l’Europe.[14]» Ce n’est donc pas étonnant que le rapport remis au Président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, s’inspire donc des pratiques israéliennes notamment de la sécurité à l’aéroport de Tel-Aviv[15]. Outre la lutte contre le terrorisme, la crise sanitaire du Covid-19 a fourni à Israël l’occasion d’apparaître comme un « modèle. Un classement international [en2020] la place même numéro 1 mondial. (…) Son secret: la gestion à poigne de Benjamin Netanyahu et le recours aux nouvelles technologies de pointe.[16] » Dans l’Union européenne et particulièrement en France, cette méthode israélienne des 2 C, commande (par des lois d’exception) et contrôle (technologique notamment via les passes sanitaires et vaccinaux) a été appliquée avec rigueur. En 2020, l’Etat hébreu a été l’un des premiers pays a fermer ses frontières, à imposer le confinement à sa population et la distanciation sociale, à utiliser les technologies en « matière de géolocalisation, big data, systèmes de vision, cyber[17]. » Dans la vaccination contre le Covid-19, « le pays hébreu a souvent été érigé en modèle de vaccination[18] » par les médias français[19].
Un bon réseau d’appui
En tout cas, dans un monde où « les grandes opérations diplomatiques ne peuvent plus être financées sans le soutien du privé[20] », l’Etat israélien peut s’appuyer sur des structures officiellement indépendantes de toutes influences gouvernementales comme Israel Project[21], Anti-Defamation League[22] ou l’AIPAC[23] aux Etats-Unis, le CRIF ou la LICRA en France. A ces institutions, il faut rajouter la force de frappe de la chaîne d’information internationale, i24news, qui avec plus de 300 employés et ses studios partout dans le monde (Tel Aviv, Paris, New York, Los Angeles, Washington, Dubaï, Rabat et à Casablanca) touche un public potentiel de plus d’un milliard de foyers avec des programmes en langues arabe, français et anglais.
i24news pour gagner les esprits et les cœurs à Israël
Frank Melloul, PDG d’i24news : « En 2010, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait affirmé à la tribune de la Knesset (Parlement) qu’il espérait voir Israël disposer d’une chaîne comme France 24. Ce rêve va devenir réalité. » « Israël: un Français nommé à la tête d’une future chaîne TV multilingue » (AFP, 25/10/2012)
La création de la chaîne d’informations internationales, i24news, s’inscrit dans vaste plan de diplomatie publique en faveur d’Israël. La chaîne israélienne fait donc comme Al-Jazeera soutenue par l’État du Qatar, France 24 avec la France, et ce à quelques notables différences : c’est une chaîne privée, et non pas publique, appartenant à Patrick Drahi milliardaire franco-israélien (propriétaire de BFMTV , RMC et du journal Libération) et non pas à un Etat ; aucun lien officiel n’existe entre i24news et le gouvernement israélien, et cet alignement sur la diplomatie publique israélienne se fait de manière totalement libre. La chaîne i24news s’inscrit donc dans un projet plus large de relooking d’Israël aux yeux de l’opinion publique mondiale. Car loin de la propagande officielle étatique, il s’agit pour la chaîne de Patrick Drahi d’adoucir l’image d’Israël en martelant que l’Etat hébreu est la seule démocratie du Proche-Orient, que sa société est un modèle de coexistence ethnico-religieuse, que c’est une vraie pépinière de talents (« start-up nation ») notamment dans l’innovation (les nouvelles entreprises technologiques), qu’elle est confrontée au terrorisme comme le reste de l’Occident et que la vitrine de tout cela est la ville de Tel Aviv, une citée de gens branchés, culturellement ouverte et festive. Il n’est pas étonnant de voir donc, Frank Melloul, un diplomate franco-suisse spécialiste du « soft power » être à la têt de la chaîne depuis sa création. Selon lui, i24news est « une chaîne de propagande de la diversité de la société israélienne. Toutes les minorités de ce pays sont chez nous représentées.[24]» La ligne éditoriale d’i24news est donc simple pour Frank Melloul, « ni de gauche, ni du centre, ni de droite, mais pour Israël.[25] »
Storytelling
La meilleure arme pour contrer la campagne de déligitimation à l’encontre de l’État hébreu, c’est pour le PDG d’i24news, la télévision, les images, qui conditionnent la perception, car « aujourd’hui, tout est story-telling.[26] » « A l’aune de notre ère de l’information, comme le concédait Frank Melloul dans un rapport remis à l’UMP, la politique [du pouvoir des États] consiste aussi à savoir qui a la meilleure « histoire » à raconter pour gagner.[27]» Le travail d’i24news consiste dès lors à construire des histoires sur des thèmes simples, tout comme le ferait une campagne politique ou publicitaire, sur Israël (pays démocratique, de la diversité, start-up Nation, etc.) en prenant pour prétexte de traiter de l’actualité internationale ; le storystelling, l’écriture de scénarios médiatiques (reportages, polémiques, interviews, etc.) servant à faire atteindre à ces histoires leur audience maximale pour imprégner l’opinion publique mondiale, de les faire perdurer dans le temps en appliquant régulièrement des piqures de rappel. Ce travail d’imprégnation de l’opinion mondiale doit se faire subrepticement, presque de manière subliminale … Et quels sont les moments les plus propices sinon lors des crises internationales (guerres, épidémies, terrorisme, etc.) pour essayer de faire pencher la balance du côté de son opinion ? Par exemple, lors du conflit israélo-palestinien qui embrase régulièrement la région comme en 2014, la chaîne d’information de Patrick Drahi « a été très sollicitée par les médias occidentaux, afin de fournir des images et des analyses réalisées par ses 150 journalistes.[28] »
En fournissant des images voire des reportages clé en main aux médias du monde entier, la chaîne i24news n’espère pas des succès d’audience, ce n’est pas son but d’avoir l’exclusivité et d’être citée comme exemple, mais le média de Patrick Drahi cherche plutôt à diffuser ses images, ses idées et à imprégner les débats par son point de vue. Il n’y a rien de spectaculaire mais la guerre de l’image passe ces petites victoires du quotidien.
Notes
[1] « It is, however, a failure at using soft power to win hearts and minds in the wider world. », Israel’s hard news and soft power », Financial Times, 29/08/2013.
[2] L’opération dura 22 jours et avait pour cible d’attaquer « des dizaines de cibles dans toute la bande de Gaza, telles que des entrepôts, des postes militaires, des tunnels, des rampes de lancement de projectiles vers Israël, et des sites de production et de stockage d’armes et de roquettes. » « Opération Plomb Durci (2008–2009) », tsahal.fr
[3] « Israel and “Pinkwashing” », nytimes.com, 02/11/2011.
[4] « Marketing the Unmarketable: Israel’s Soft Power », ipezone.blogspot.fr
[5] « Le terme de pinkwashing désigne principalement une technique de communication fondée sur la promotion de l’homosexualité par une entreprise ou par une entité politique pour essayer de modifier son image et sa réputation dans un sens progressiste, tolérant et ouvert. Cette stratégie de « relations publiques » s’inscrit dans l’arsenal des méthodes d’influence, de management des perceptions et de marketing des idées ou des marques. Au niveau géopolitique, cela consistera à porter des jugements de valeurs politiques sur tel ou tel pays à partir d’un clivage « homophile versus homophobe » (gay-friendly or not), de sorte à justifier éventuellement un boycott ou une agression militaire. », source : Wikipédia
[6] Exemple avec l’armée israélienne « Entretien avec un soldat religieux et homosexuel qui lutte contre les stéréotypes », tsahal.fr, 09/10/2016.
[7] «Le pinkwashing, cache-sexe de l’occupation », lecourrier.ch, 26/10/2012.
[8] « Combattre le Pinkwashing : Au cœur du mouvement queer arabe », frontdu20mars.github.io, 15/03/2012.
[9] « Accusations de “pinkwashing” autour de la Gay Pride de Tel Aviv », fr.euronews.com, 03/06/2016.
[10] « Islamisme : Israël érigé en modèle dans la guerre contre le terrorisme », lefigaro.fr, 02/11/2020.
[11] Après l’attentat de Nice en juillet 2016, le premier ministre israélien a proposé l’aide de l’État hébreux au gouvernement français pour combattre le terrorisme. Dans un communiqué il déclarait qu’ « Israël se tient aux côtés de la France et des Français et l’attentat de Nice est une fois de plus la preuve que le terrorisme peut frapper n’importe où et qu’il convient de le combattre partout. »
[12] « Attentats : Hervé Morin réclame “l’israélisation” de la sécurité en France », actu.orange.fr, 27/08/2016.
[13] MM. Georges Fenech, président, Sébastien Pietrasanta, rapporteur, David Comet, Mme Françoise Dumas, MM. Meyer Habib et Pierre Lellouche.
[14] « “Nous sommes venus en Israël pour apprendre” (G.Fenech des Républicains) », i24news, 31/05/2016.
[15] « Attentats en France en 2015. Un rapport sur le terrorisme qui s’inspire d’Israël », Actualité juive, n°1399 14/07/2016.
[16] « Gestion à poigne et high tech : les armes d’Israël pour vaincre le Covid-19 », challenges.fr, 25/04/2020.
[17] « Gestion à poigne et high tech : les armes d’Israël pour vaincre le Covid-19 », challenges.fr, 25/04/2020.
[18] En Israël, un an de vaccination contre le Covid-19 : “un succès sur le long terme”, L’Express, 18/12/2021.
[19] Pour le site atlantico.fr : « Vaccination : le modèle israélien », Paris Match : « Pourquoi le modèle de vaccination israélien semble être l’exemple à suivre », Paris Match : « Covid-19 et vaccination : le (rassurant) modèle israélien », Franceinfo : « Covid-19 : Israël, pays modèle de la vaccination mais toujours confiné ».
[20] « Des entreprises au service du « soft power », Les Échos, 01/04/2016.
[21] theisraelproject.org
[23] aipac.org
[24] « Je ne reçois aucun argent d’Israël pour i24news », La Lettre de l’audiovisuel, 19/03/2014.
[25] « La vitrine d’Israël », The Jerusalem Post, 25/12/2012.
[26] « La vitrine d’Israël », The Jerusalem Post, 25/12/2012.
[27] Développement de l’influence de la France sur la scène internationale Une diplomatie publique à la française. Rapport à M.le secrétaire général de l’UMP. Frank Melloul
[28] La Lettre de l’Expansion, n°2192, 25/08/2014.